Lorsqu’une séquence de pellicule Eastmancolor ainsi qu’un "design graphic" réalisé par Peter Saville, intitulé  "100 consecutive pulse from the pulsar CP1919" exaltent vos nerfs optiques, cela crée une fascination allant à la limite de l’hypnose vous laissant hors du domaine de la volonté.

Par leur constance, certains phénomènes esquissent des marques sur le corps et l’âme, c’est alors que naissent  les interrogations et surtout le furieux besoin de compréhension, état comparable à l’invention de rêves qui n’ont jamais existés.

Il arrive alors très souvent que les choses soient si simples qu’elles en deviennent étranges.

Durant la décade des années 80, au cœur des méandres de cette fascination, dans le dédale de mes recherches au milieu des interstices de ce graphisme, et très largement influencé par le courant de pensées de Ludwig Wittgenstein  (développé dans l’ouvrage «investigation philosophique»), est né le sentiment de devoir m’approprier ce paradoxe et de le retranscrire en le matérialisant dans l’espace dimensionnel  terrestre.

L’être humain, par réflexe, associe une image à un son, un son à certains phénomènes. Il serait donc naturel d’associer un bruit de déflagration à la vue de l’explosion d’une étoile. Mais, et c’est là tout le paradoxe, aucun son n’est audible lors de l’explosion d’une étoile quelle que soit la distance à laquelle on se trouve.

En effet, l’espace contient si peu de matière qu’il peut être considéré comme vide, or les vibrations sonores ont besoin d’un support matériel pour se propager. Dans le vide, pas de support, pas de son  ! Notion difficile à concevoir pour nous, la matière étant partout sur la Terre sous ses trois états  : liquide, solide et gazeux.

Un son est une onde produite par la vibration mécanique d’un support fluide ou solide. Elle est propagée grâce à l’élasticité de son milieu environnant. Dans un milieu compressible, le plus souvent l’air, le son se propage sous forme de variation de pression créée par la source. Seule la compression se déplace et non les molécules d’air. C’est cette vibration qui est susceptible de donner naissance à la sensation auditive.

La vitesse de propagation d’un son dépend de la nature, de la température et de la pression du milieu. Comme l’air est proche d’un gaz parfait, la pression a très peu d’influence sur la vitesse du son. Dans notre atmosphère, les Ondes Sonores se déplacent à environ 344 m/s dans de l’air à 20°. Sans obstacle, cette se propage de la même façon dans toutes les directions, pour se retrouver au bout d'une seconde réparti sur une sphère de 340 mètres de rayon. Parler ici de leur vitesse de propagation n’a pour but que d’indiquer que les plus grandes "Abstractions Sonores" que j’ai réalisées à ce jour, ne représentent théoriquement, et ce en les ramenant à l’échelle terrestre, qu’un son d’une durée de quelques millièmes de secondes.

Dans la recherche de la matière utilisée jusqu’à l’obtention de la texture souhaitée, c’est volontairement que je me suis détourné de l’idée de fac-similer les Ondes Sonores. A l’instar d’un romancier, j’ai souhaité apporter de la densité et de l’émotion aux "Abstractions Sonores" afin que par une simple vision, l’auditeur puisse arriver à en dégager un sens, ce qui n’aurait pas été possible par des représentations brutes et fidèles.

Pour l’auditoire, il s’agit d’appréhender par la vision ce que son ouïe est susceptible de percevoir tout en se retrouvant confronté à une expérience sonore uniquement visuelle.

Mystérieuse chimère que de vouloir faire observer l’invisible…. pourtant ici, seul le regard fait sens.

Etre face à des visions à la fois insignifiantes en soi et d’une valeur absolue, visions de sons ou bruits dont tout désir transcendant s’est retiré, ne laissant place qu’à l’appréhension du regard. Des "Samples" dont j’aurais effacé tout l’imaginaire pour en faire un pur produit visuel, où je livre l’illusion pure du fantasme – le fantasme comme illusion radicale.

On peut passer d’une "Abstraction Sonore" à une autre, l'expression triomphe, factice, résolument égale entre un bruit de disqueuse ou un chant de baleine. C’est là qu’on retrouve alors l’absolue défaite de toute exigence esthétique, aucune "Abstraction Sonore" ne s’oppose à une autre, personne ne s’oppose à personne, dans une sorte de perfection de l’altérité telle que l’on peut l’écouter. Nous sommes tous égaux face à ces représentations sonores visuelles  ; elles ne demandent aucun savoir, aucune ascendance, elles sont comme audibles. Ainsi, même là où on voudrait voir une quelconque dénonciation du vacarme sonore qui nous entoure, en vérité, il n’y a rien d’autre que "l’Abstraction Sonore" présentée.

Nos schémas cognitifs s’opposant à des associations incongrues, la contemplation des "Abstractions Sonores" de manière rationnelle les exclurait de leur contexte invisible. C’est pour cette raison que je n’ai pas souhaité créer une matrice ou guider, par des prédispositions spécifiques, l’auditeur dans son observation des "Abstractions Sonores". De surcroit, ce type de démarche spirituelle reposant sur des flux anciens répertoriés, limiterait le spectateur aux bornes de son entendement, ce qui serait un étrange rétrécissement de sa conception de l’univers artistique…

Alors, même si certaines "Abstractions Sonores" mises en scène, peuvent apporter au témoin une capacité à entrevoir ce qui se trame au fond de ma recherche de l’impossible expression, l’idéal pour lui, face à une "Abstraction Sonore", serait simplement de se sentir bien là où il se trouve avec juste le bruit de sa respiration, la vitesse de la terre dans son corps et le temps qu’il faut pour apprendre…

Il se trouverait transporté dans mon univers et ne serait plus alors exclusivement un spectateur. Mes créations ne seraient plus une transmission d’émotions artistiques d’un individu sur un autre, mais un partage où les deux observent, où les deux sont observés. C’est cela qui fait sens  : l’instant où nait l’idée que deux êtres sont liés par le sentiment d’avoir acquis la sublime expression, comme le démontre la théorie quantique  : l’objet regardé n’a de sens que si l’on prend en compte qui regarde.

Chacun pourra alors s’interroger sur les moyens dont il dispose pour entrer en intelligence avec les "Abstractions Sonores", et ainsi assimiler que le but n'est pas de reproduire la nature, ou autres formes diverses de conception humaine telles qu'elles sont, mais à les représenter par des équivalents, des équivalents plastiquement séduisant et ordonnés, que c'est le moyen d'expression et non le son représenté qui doit lui même être expressif. L’auditeur est invité à se laisser aller, à projeter son imagination, au-delà de ce l'oeuvre lui renvoie.

Le spectateur pourra ainsi flirter avec certains formats aussi bouleversants qu'énigmatiques, où l'impuissance et le doute génèrent en permanence une remise en question nécessaire à l'aboutissement de mes travaux. Perpétuelle recherche de l'oeuvre ultime nous montrant combien l'art exige de métier, de travail, alternance sans fin passant du silence à la création, au silence, de nouveau à la création, jusqu'au silence, du moins sans autre fin que la mort , dont la menace et la séduction sont très probablement les matériaux originels et fondateur de mon profil d'artiste.

Pourtant bien avant la mort, le silence absolu pourrait être l'oeuvre ultime...

Un observateur étant propulsé à une vitesse supérieur à 344 m/s dans un écoulement supersonique, il se retrouverait hors du cône de Mach. De ce fait il ne serait pas atteint par les vibrations des sons qu'il produirait. Il serait alors dans son propre silence...


Dans un espace clos où l'on placerait un spectateur observant une "Abstraction Sonore", que cet espace soit mis sous vide, c'est à dire dépourvu de tous fluides, et parce que dans le vide les ondes sonores ne se propagent pas, le silence serait donc absolu et par conséquent "l'Abstractions Sonores" malgré sa présence  face à son regard, deviendrait invisible pour cette auditeur..